

Se mettre en chemin vers l’Unité Pastorale (octobre 2020)
« J’appelle les communautés à être pleinement chrétiennes. (…) Je vous invite à accueillir le projet diocésain du Chantier paroissial, dont la finalité est ‘d’engendrer des communautés en phase avec le contexte sociétal et pleinement chrétiennes, et par là, signes dans le monde’. » (Monseigneur Warin, Lettre pastorale ‘Avance en eau profonde’, avril 2020, p. 4-5)
Dans sa récente lettre pastorale, Monseigneur Warin invite de façon pressante les paroisses de notre diocèse à accueillir le projet diocésain et à se mettre en chemin vers l’Unité Pastorale. Seigneur, qu’attends tu de nous aujourd’hui et demain ? Quel est ton rêve pour ton Église chez nous, dans notre secteur ? Répondre à cette question fondamentale ne peut se faire qu’à la lumière de la Parole de Dieu et nécessite d’y consacrer l’énergie et le temps suffisants. Il s’agit bel et bien d’un enjeu spirituel et non d’une simple ‘restructuration’.
Comment faire concrètement ? Après un contact du ou des prêtre(s) avec le vicaire épiscopal de la province concernée et l’équipe diocésaine du Chantier Paroissial, une équipe préparatoire est constituée au niveau local. Celle-ci jouera un rôle essentiel pendant plus ou moins un an. Accompagnée tout au long de sa mission par l’équipe diocésaine, elle va se réapproprier la réalité locale. Pour ce faire, elle analysera la situation sociologique et pastorale, relèvera les ressources et les atouts mais aussi les difficultés et les résistances.
Cette équipe préparatoire aura aussi à cœur de sensibiliser les paroisses et les différentes réalités chrétiennes à la dynamique d’unité pastorale par le biais de célébrations, de rencontres, d’informations, d’affiches… S’appuyant sur la Parole de Dieu partagée, elle expérimentera la joie de travailler en équipe d’Eglise et d’inventer des chemins nouveaux pour être davantage signes du Christ dans notre monde.
L’équipe préparatoire terminera sa mission en discernant les défis majeurs, les priorités pastorales qu’il faudra relever à court et moyen terme dans la nouvelle unité pastorale. Cette première étape assure une véritable dimension d’incarnation au travail pastoral. On y perçoit mieux que l’Évangile est Bonne Nouvelle appelée à résonner dans le quotidien de nos villages, de nos quartiers…
Après un travail de discernement mené conjointement avec le vicaire épiscopal et l’équipe diocésaine, le curé appellera quelques laïcs pour constituer avec lui (et le vicaire, le diacre, l’assistante paroissiale s’il y a lieu) la future équipe pastorale. Lors de la fondation de la nouvelle Unité Pastorale, l’évêque enverra cette équipe en mission pour trois ans, avec mandat de mettre en œuvre les priorités déterminées.
Des Secteurs aux Unités pastorales : la chance d’une métamorphose
( articles 1 et 2 – décembre 2019) Abbé Luc Lysy
I – L’avenir des communautés chrétiennes, une question spirituelle
En pensant aux communautés chrétiennes dans lesquelles nous sommes insérés, pour lesquelles nous exerçons un ministère ou une fonction, auxquelles nous sommes attachés, nous pouvons entendre la parole de l’Apôtre : Allons nous, une fois de plus, nous recommander nous-mêmes ? Ou alors avons-nous besoin, comme certains, de lettres de recommandation qu’il faudrait vous présenter, ou obtenir de vous ? Notre lettre de recommandation, c’est vous, elle est écrite dans nos cœurs, et tout le monde peut en avoir connaissance et la lire. De toute évidence, vous êtes cette lettre du Christ, produite par notre ministère, écrite non pas avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non pas, comme la Loi, sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs (2 Co 3, 1-3).
L’action pastorale dans laquelle nous sommes engagés, et bien évidemment le chantier paroissial qui nous réunit ici aujourd’hui, n’est pas simplement de l’’opératoire’, de la ‘stratégie’, de la ‘structuration’ à côté de ce qui par ailleurs est le ‘mystère’ profond de l’Eglise et qui, éternel, subsiste en dehors des contingences de l’action pastorale. Non. L’action pastorale fait partie intégrante de la « lettre qu’écrit le Christ, par l’Esprit » dans les cœurs. Elle est donc aussi notre ‘témoignage’.
On peut donc dire que notre action pastorale toute entière est profondément une question spirituelle. Comment le comprendre plus précisément ? C’est mon premier point.
1. Une question spirituelle
Nous sentons combien, dans tous les domaines, les choses ont changé depuis quelques dizaines d’années… et changent encore ! Cette évolution permanente, nous l’apprécions avec plus ou moins d’enthousiasme, nous l’appréhendons avec plus ou moins de réticence ou de crainte.
Ainsi le panorama qu’offrent nos paroisses a beaucoup changé. Est-ce par inertie ? Parce qu’on suit le courant ? Pour une part, oui. Mais pour une part seulement. Il y a aussi ce qu’à certains moments nous souhaitons changer, faire autrement, et nous y pressentons même un appel à évoluer, à nous situer autrement, à nous positionner de façon neuve.
Je crois qu’il y a là, dans l’épaisse réalité de l’Eglise et de ses communautés, quelque chose comme une sève de renouvellement propre à notre foi et qui va bien à notre humanité, qui lui fait du bien. Une sève propre à notre foi, à cause de la disproportion qu’introduit la foi entre ce que nous pouvons raisonnablement espérer de la vie et la promesse qu’y révèle l’Evangile par la mort et la résurrection de Jésus. Une sève qui va bien à notre humanité, car celle-ci, animée de désir, reste toujours insatisfaite devant les seules perspectives de survie sans nouveauté.
Cette sève peut s’exprimer entièrement, me semble-t-il, dans une question comme celle-ci – qui est en même temps une prière : « Seigneur, qu’attends-tu de nous ici aujourd’hui ? » En quelque sorte tout est dit dans cette question. Vous y avez le condensé de l’état d’esprit d’une communauté chrétienne, autrement-dit le condensé de sa spiritualité : non pas l’ornement pieux, mais le souffle, car l’Esprit, c’est le Souffle ; et la spiritualité, c’est l’ensemble vivant des manières de penser, sentir, réagir, se relationner, agir, en approfondissement permanent et en conversion continuelle. Une telle question est au fondement de toute la vie ecclésiale. Et ses termes méritent d’être pesés.
« Seigneur » : tout vient de Lui. L’Eglise est une communauté non centrée sur elle-même ni autarcique, mais ouverte sur le mystère qui est révélé en Jésus Christ. Sinon elle n’est, comme dit le pape François, qu’une ONG parmi d’autres. Par ailleurs, ne pensons pas trop vite que nous le connaissons parfaitement, ce « Seigneur », et qu’il réside dans nos affirmations convaincues, dans la répétition – même autorisée – de formules, doctrines, obligations… Ce qui a pour premier résultat d’engendrer une séparation entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Ce qui, de plus, ne parle plus aujourd’hui à personne !
« Qu’attends-tu de nous » : L’Eglise est primordialement ‘écoute’. Ecoute et méditation de l’Evangile – et de toute les Ecritures, sans utiliser de ciseaux pour couper ce qui ne plaît pas. Ecoute, échange, prière, ouverture sur l’inouï et la surprise de l’expérience pascale. Cette écoute est une attitude active : c’est croiser nos itinéraires humains avec celui du Seigneur. « Nous » : il faut se souvenir qu’il n’y a pas de ‘nous’ sans ‘je’, comme il n’y a pas de ‘je’ sans ‘nous’. Et ce ‘nous’ n’est pas circonscrit à la seule communauté locale ; il est fait de cercles de plus en plus larges : diocèse, Eglise, œcuménisme… Enfin, à propos de ce ‘nous’, je retiens la phrase de Mgr Claude Dagens : « L’Eglise est un réservoir de ressources inexploitées. «
« Ici aujourd’hui » : dans notre société. Nous ne sommes pas en dehors d’elle. Elle n’est pas un vis-àvis extérieur, nous ne sommes pas avec elle dans un face-à-face frontal. Il y a bien plutôt pénétration réciproque.
La question est donc bien une question de fond, qui donnera couleur, force et orientation à toute la démarche d’une refondation, d’un renouveau, d’une renaissance (termes divers selon les diocèses). C’est une question constante, qui accompagne et oriente tout l’itinéraire, et pas seulement une question préliminaire, qui situerait seulement un point de départ.
Etymologie grecque de « paroisse »
La question telle qu’elle vient d’être posée renvoie à l’étymologie grecque du mot ‘paroisse’. « parecho », de « para » : près de, auprès de, pour, en vue de, en faveur de, au bénéfice de ; et « echo » : se trouver là, être là, être avec, demeurer (qui a donné « oikos », la maison, la demeure). Cela suggère quelque chose comme une oasis sur le chemin, où l’on peut s’arrêter et trouver tout ce qu’il faut pour la route.
Ce petit coup de sonde étymologique permet de comprendre que la paroisse n’est pas le but d’une vie chrétienne ou d’un chemin d’humanité. Elle n’est pas non plus le tout du chemin. Elle pourvoit à ce chemin. Elle est essentiellement « offre » de ressources, et « proche » des besoins pour la route (ce qu’il ne faut pas confondre avec « proche » géographiquement). La paroisse, si elle consume pour elle-même toutes les énergies des personnes, ne remplit pas son office, sa fonction.
La « réforme » comme invention
Dernière petite réflexion à propos de la « question spirituelle » : le travail de réforme et de transformation de la situation actuelle est apparenté à un ‘travail’ d’enfantement. Et comme tel, il requiert des formes de commencement et d’invention.
Maurice Bellet constatait : « L’Eglise a toujours avancé à coup non de réformes mais d’inventions ». L’invention ne signifie pas la ‘création ex nihilo’. Il y a dans la racine latine du mot l’idée de « venir dans » : saisir les occasions, les potentialités, les latences…
On pourrait réfléchir sur certains exemples d’’invention’. J’en évoque rapidement deux. Le premier, c’est ce qu’a inventé François d’Assise comme style de vie et de communauté a été une contribution non négligeable au renouvellement de l’Eglise et de la société de son temps, marqué par la forte explosion urbaine et commerciale du XII° siècle. Le deuxième, c’est la manière dont saint Benoît, fondateur de l’ordre bénédictin, puise dans la tradition orientale des anachorètes, en en faisant l’expérience, pour initier la tradition monastique occidentale, en lui donnant une dimension communautaire (héritée de la vie de l’Eglise naissante dans des communautés domestiques) et une dimension régulée (héritée du droit romain impérial) tellement importante dans l’Antiquité.
2. Une métamorphose commencée
La métamorphose du paysage paroissial est déjà en cours. Et elle n’a pas qu’un caractère géographique, par l’élargissement du territoire des paroisses.
Pour camper à gros traits cette métamorphose, on pourrait dire que l’on vient d’une situation où la paroisse était le lieu proche de l’entretien d’une foi largement partagée et transmise en famille, phénomène social dominant, qui rythmait le temps (fêtes du calendrier, sonneries de l’angélus, célébration des étapes de la vie…) et balisait l’espace (églises, clochers, chapelles, potales…) ; elle encadrait une population. Elle était l’expression majeure d’une religion qui, depuis des siècles, inspirait les façons de penser, les expressions et les manières de parler, et guidait largement la morale et parfois la politique.
Aujourd’hui, la paroisse est un signe particulier, de moins en moins familier pour la plupart des gens, un ‘lieu-source’ qu’on choisit de fréquenter à des rythmes eux-mêmes choisis, dans une société qui pense ne plus avoir besoin d’elle pour survivre et s’organiser. Le nouvel archevêque de Cologne (le puissant diocèse de Cologne !), le cardinal Woelki, dès sa première interview, parlait de « l’Eglise en diaspora ».
D’une situation à l’autre, le passage s’opère de façon obscure. Tout ce que j’ai évoqué de la situation que nous quittons est à peu près dans la tombe – avec quelquefois des soubresauts violents de fin de vie, et nous passons vers une nouvelle présence de la sève évangélique, hors de cette tombe, dans un espace plus large, avec tous ceux qui sentent le besoin d’entreprendre une nouvelle naissance/fondation d’humanité.
Cette métamorphose touche la foi elle-même. Car nous sommes sortis d’un univers ‘religieux’. C’est là un processus typiquement européen (de l’Europe de l’Ouest surtout), qui s’étend peu à peu plus loin ; un processus de plusieurs siècles, vécu comme un arrachement libérateur en même temps que douloureux par rapport à ce qu’on a appelé « l’obscurantisme », l’assujettissement à la religion dans lequel chacun trouvait son identité et sa reconnaissance auprès des autres dans l’appartenance à la même communauté largement homogène. On participait de la foi du plus grand nombre. Un long chemin a été parcouru pour passer de l’hétéronomie à l’autonomie personnelle.
Chacun est désormais sommé de se construire par lui-même, en se donnant à soi-même des raisons de vivre, des orientations et des manières d’être et de faire. Cela à l’intérieur d’une grande mouvance des repères, de leur privatisation de plus en plus totale, de la forte pression de l’opinion elle-même mouvante, de l’éclat de la société de spectacle, de la prégnance de plus en plus profonde du regard scientifique, chiffré, statistique, analytique sur les choses, du rapport technologique et expérimental sur le réel.
Que ce ne soit pas facile, cela se voit à divers symptômes : les dépressions, la fluctuation des idées et des mœurs – les modes, l’invasion du chaotique et de la violence disséminée, le franchissement des seuils qui mènent à l’incontrôlable, l’apparition d’êtres humains dé-structurés, réduits à l’immédiat des envies et des conditionnements… Une sorte d’effondrement de ce qui était sensé orienter et donner les limites. Et cela s’opère sous anesthésie : la frénésie typique du monde actuel, le nihilisme ambiant du « il n’y a rien ; on peut jouer avec tout »
C’est donc la grande tâche aujourd’hui. Non pas celle de véhiculer-transmettre-promouvoir des valeurs, des idéaux, des principes, des doctrines. Mais celle de permettre à chacun de construire son humanité et celle de construire l’humanité commune. Ce qui commence par : être présents les uns aux autres, échanger la parole, être ensemble avec un « entre-nous » qui nous relie en même temps qu’il nous sépare, et qui permet de trouver un point d’appui qui ne soit pas une affaire abstraite mais une affaire de corps, de présence première, au cœur de la vie – et non pas dans les « choses vagues » – et qui suscite le crédit donné à la vie.
« On peut légitimement penser que l’avenir est entre les mains de ceux qui auront su transmettre aux générations de demain des raisons de vivre et d’espérer » affirmait déjà le concile il y a 50 ans (Gaudium et Spes 31). Comme le dit Christoph Theobald, le déchiffrement de la société par elle-même passe nécessairement par des hommes et des femmes de « foi » qui éveillent et réactivent la confiance. Et non seulement par des experts et des défenseurs de groupes minoritaires ou défavorisés.
Cela implique quoi pour nous, à propos des paroisses ? Cela implique évidemment d’accueillir la métamorphose, plutôt que de chercher la survie. Chercher la survie, c’est : 1. Continuer à une échelle plus grande ce qui existait jusqu’à présent 2. Penser de la même façon dans des aires géographiques plus étendues 3. Sauvegarder tout ce qu’on peut, à grand renfort d’énergie et de conviction, contre les changements 4. S’épuiser, en forces dispersées et souvent antagonistes, à tenir hors de l’eau un bateau qui coule de toutes parts. Tout cela n’entraîne que crispations, nostalgies, plaintes, essoufflements, manques de tonus… Cela implique aussi de prendre en compte des itinéraires personnels, et d’avoir le sens du cheminement plutôt que le goût du définitif et de l’immuable. Cela implique enfin d’exercer le sens du provisoire. Vouloir remplacer le modèle multiséculaire (de la paroisse) par un autre, nouveau, qu’on pense perpétuer pendant des siècles, est une illusion.
3. Retour sur un vieux mot : la « Voie »
Je voudrais approfondir un peu toute la perspective de cet entretien en revenant sur un vieux mot : la « Voie ». C’est en m’aidant de la réflexion de Maurice Bellet (particulièrement son puissant livre « La Voie ») que je vous livre les éléments suivants.
Tout être humain a besoin de trouver sa voie et de la suivre.
La Voie, c’est le rêve de l’enfant : vouloir tout, surtout le meilleur, sans prétention pourtant. C’est sans doute ce que Jésus loue et donne en exemple à ses disciples. Cela nous dit déjà que la « Voie » concerne l’essentiel pour vivre, et qu’elle donne le goût de la vie.
La Voie, c’est le difficile passage pour l’adolescent. Trouver sa voie, sa voie propre parmi les possibles et les artifices. Pas simplement en imitant d’autres qu’on admire ou qu’on envie – car on bute sur l’inimitable. Cela nous dit que la Voie est d’ordre personnel et touche aux profondeurs de soi. Elle n’est pas l’inscription dans un moule déjà tout prêt. En elle se trouvent des repères, certes, mais des repères qui deviennent propres à soi ; en elle, ma place propre, unique.
La Voie, c’est la réalisation d’une vie vraiment humaine. Ce que donne la Voie, c’est une orientation de fond, ce à quoi on tient malgré tout, le sens qu’on trouve à son existence, ce sans quoi on ne pourrait pas tenir. Elle donne de vivre avec des compagnons de route, des compagnons de la voie. Cela nous dit que la Voie est une traversée : traversée des obscurités, des épreuves, de la longueur du temps.
La Voie est la purification de l’âge mûr. Elle opère le détachement par rapport à ce qui n’est qu’accessoire ; elle permet l’attachement à l’essentiel dans ce qu’il a de toujours neuf. Cela nous dit que la Voie est faite de moments qui ont chacun leur pleine valeur et peuvent être vécus intensément, mais sans s’y arrêter ; car s’arrêter, c’est annuler le chemin, la Voie elle-même.
Est-ce affaire de religion ? de philosophie ? de politique ? de psychologie ? Ne répondons pas trop vite… De toute façon, c’est avant – en amont de- toutes ces distinctions.
Il se fait que le premier nom donné au christianisme a été : « la Voie »
Avant qu’on ne parle du phénomène chrétien comme du ‘christianisme’, le terme utilisé a été « la Voie ». ‘VIA’ en latin. Nous savons combien, dans l’Antiquité, les voies romaines ont été une spécialité de l’empire et un facteur important sur les plans économique et militaire. Il est intéressant de remarquer que c’est le terme qui désignait ce moyen concret et pratique, « VIA », qui a servi aussi pour désigner l’existence chrétienne, la vie à la suite du Christ. Bien avant le mot en « -isme », ‘christianisme’, qui induit une tournure plus doctrinale, une sorte de système qui existerait en dehors des personnes qui s’en revendiquent.
« VIA VIATORES QUAERIT » : la formule de saint Augustin a été récemment remise à l’honneur comme logo du Jubilé des 850 ans de la cathédrale Notre-Dame de Paris. « La Voie cherche/appelle des voyageurs ». Etre chrétien, c’est être adepte de la Voie, acteur de la Voie, pratiquant de la Voie.
Et en effet, on entre dans la Voie par une initiation. On n’y antre pas au terme d’une formation, c’est-à-dire d’un enseignement d’idées, de concepts, de préceptes, de système de valeurs. On n’y entre pas non plus par un apprentissage, c’est-à-dire par l’acquisition de techniques, de procédés, de savoir-faire, de compétences. On y entre par une initiation, c’est-à-dire une entrée progressive et accompagnée dans un style de vie qui touche la pensée – ce bref arrêt entre l’élan et l’acte d’où seuls procèdent nos égards pour autrui et qui empêche que nous soyons livrés aux purs instincts (S. Weil) – ; un style de vie qui touche dès lors le comportement, les réactions, les relations, les convictions. Parce qu’elle concerne la globalité de l’existence, cette entrée progressive comporte des rites qui seuls ouvrent par expérience à un au-delà de nous-mêmes : les sacrements de l’initiation.
La Voie et la Règle, ce n’est pas la même chose
Il n’y a pas d’humanité possible sans un ordre qui donne aux humains l’espace de relation où chacun peut trouver sa place. Cet ordre s’exprime par des règles. Celles-ci, dans le passé, ont largement reposé sur les traditions et la religion. Il ne faudrait pas croire cependant que le ‘progrès’ de la modernité, nous ayant libéré du poids de la tradition et de la religion, a entraîné la disparition de la Règle. Au contraire, la Règle a acquis un formidable poids disciplinaire où les individus, dont on exalte par ailleurs la liberté, sont pris comme dans de la glu.
Dans cette évolution, ce qui s’est défait, c’est la règle religieuse. Ce n’est peut-être pas une mauvaise chose. Car le cœur de la foi chrétienne n’est pas la Règle, mais la Voie. La Règle reste extérieure, même si elle finit par être intériorisée. Par contre, la Voie est du dedans de l’être humain, elle lui est propre et unique. Et elle coïncide avec une expérience de liberté, d’éveil, de présence à soi et aux autres.
Il se peut même que la Voie se fasse contestation radicale de l’empire de la Règle. Car suivre la Voie, c’est échapper à la mainmise, à la manipulation, à l’enfermement dans les définitions et les catégories préétablies de la Règle. Ainsi les chrétiens des premiers siècles dans l’empire romain ont-ils à plusieurs reprises payé de leur sang ce qu’ils représentaient de contestation de l’Empire.
Les implications d’une pastorale de « la Voie »
Nous nous y attarderons plus longuement dans le second entretien de cette journée. Par rapport à une pastorale de l’encadrement, qui travaille sur les nombres et qui est soucieuse des étendues (pas un cm2 de territoire qui ne soit sous la responsabilité d’un curé !), il s’agit de la capacité d’ouvrir des itinéraires multiples, pluriels, de la capacité d’accompagner plutôt que de diriger, et de la capacité de renforcer l’initiation plutôt que la formation.
Comment ne pas évoquer ici la figure de Thérèse de Lisieux, docteur de l’Eglise. Elle connaît de l’intérieur l’expérience de l’absence de Dieu. « Thérèse est la figure emblématique de notre temps où la nécessité de Dieu ne s’impose plus » (J. Loew). Elle a trouvé une « petite voie toute nouvelle ». « Je compris que l’amour renfermait toutes les vocations, que l’amour était tout, qu’il embrassait tous les temps et tous les lieux ». « Ma vocation, enfin je l’ai trouvée, c’est l’amour ». Dieu comme Bonne Nouvelle de l’amour gratuit et désintéressé. Est-ce bien là le parfum que l’on respire au contact de notre action pastorale ?
Mais Thérèse connaîtra également les épais brouillards qui lui suggéreront que tout cela n’existe pas. Cette spiritualité nouvelle, les soldats de la Grande Guerre l’ont spontanément sentie chez elle, eux qui vivaient le non-sens et l’absurde.
4. Être l’Eglise d’un Dieu de l’Alliance
« Être l’Eglise d’un Dieu de l’Alliance », cela peut sembler une formule et une évidence. Mais nous avons toujours besoin de nous convertir à un Dieu de l’Alliance. Car un Dieu de l’Alliance, cela n’est pas naturel au sentiment religieux.
Le point de départ de la révélation du Dieu de l’Alliance est la révélation du Nom à Moïse au Buisson Ardent (Exode 3). « Je suis celui qui est là », traduit en grec par « Je suis celui qui suis ». La différence entre pensée hébraïque et pensée grecque réside en ceci que ‘être’, dans la pensée hébraïque, inclut une certaine dynamique, dans le sens de ‘être là pour’ et ‘être là avec’, tandis que la pensée grecque inclut une certaine idée d’’être au repos’, d’’exister’ simplement. Le Nom révélé à Moïse a donc une signification qui va dans le sens de : « Je suis celui qui est là, qui est avec vous et pour vous ». Ce Nom contient un engagement et une promesse, un lien, plutôt qu’une indication de substance. Et d’ailleurs, dans la révélation à Moïse vient directement la suite : « J’ai vu la misère de mon peuple… Je suis descendu pour le délivrer… ». Cet engagement, ce lien, c’est celui de la miséricorde.
Ceci dit, la pensée grecque sera largement dominante dans la réflexion théologique et philosophique. Avec cette idée – extrêmement géniale par ailleurs – de l’être transcendant, principe et origine, être suprême. Avec lui et autour de lui, les relations sont surtout verticales. Tandis que le Dieu de l’Alliance – et de l’Alliance en Jésus Christ – entraîne surtout des relations horizontales.
Cela n’est pas sans conséquences importantes et concrètes : Reconnaître que nous sommes ‘avec’ nos frères humains, ‘pour’ l’humanité commune ; chercher avec eux ce qui concerne l’humanité comme telle, et non pas dicter quelque chose ‘en plus’, qui vient d’’en haut’. Savoir ‘apprendre d’autrui’, dans une hospitalité large qui fut celle de Jésus lui- même. En quel Dieu croyons-nous ? Un Dieu Anti-Mal, Principe supérieur d’un ordre qui s’oppose au mal ? Ou bien un Dieu qui envoie son Fils pour sauver le monde ? Le pape François dit (EG 24) : La communauté chrétienne accompagne l’humanité en tous ses processus, aussi durs et prolongés qu’ils puissent être. Elle connaît les longues attentes et la patience apostolique. Et il invite les chrétiens à ne pas être comme contrôleurs et des douaniers, à éviter de jeter de l’huile sur le feu, mais à donner des raisons d’espérer dans des situations souvent très dures. Il y a évidemment des implications dans la manière d’exercer les rôles et les fonctions ecclésiales et de les rapporter les unes aux autres.
II – Les lignes de conduite de la métamorphose.
Volontairement, le titre de chaque partie de l’exposé commence par un verbe.
1. Saisir le changement comme une chance et non comme un malheur
Ceci a trait à l’expérience que nous faisons du temps qui passe. Tout passe ! Le temps s’écoule… On ne peut l’arrêter. Tout passe inexorablement. On va vers la fin de la vie… On apprend une certaine sagesse, un détachement… On s’étonne de moins de choses… Ca va de plus en plus vite…
Or à plusieurs reprises, l’évangile dévoile une autre expérience du temps : « lorsque les temps (ou les jours) furent accomplis… ». C’est le cas du récit de la Nativité (proclamé à la messe de la nuit de Noël), donc à un moment central de la révélation chrétienne. Le temps arrive à un accomplissement. Il n’est pas seulement le temps qui passe et qui élimine tout. Le temps « aboutit » à une naissance. Le temps va au-devant de la joie la plus haute, c’est-à-dire au-devant d’une promesse qu’il contenait et qui va s’accomplir.
Et cela non sans le « travail » de cette femme, Marie. Et pour elle, la germination de la vie en elle, avec sa beauté cachée, sa fragilité incontrôlable, avec les soucis engendrés et les limites imposées aux activités, avec les attentions nécessaires, les inquiétudes inévitables et la patience requise, apparaît comme une promesse tenue par un dieu.
Cette autre expérience du temps se fait « en ces temps-là », que l’évangéliste décrit avec une certaine désinvolture. Il y a l’édit de l’empereur Auguste pour le recensement, avec ce goût de l’enregistrement, de l’encodage, du matricule, du n° d’identification… La sécurité ! Il y a cette écharde dans la chair d’Israël : être annexé à la province romaine de Syrie ! Il y a tout ce monde sur les routes : le vieux phénomène, souvent très pénible, du mouvement des populations pour des raisons politiques ou des raisons de sécurités ! Il y a Joseph, l’émigré : sa famille a dû émigrer du pays des ancêtres jusqu’à Nazareth ; non pas quelques heures d’avion, mais quatre jours de voyage, à pied, et un changement de province assez vertigineux : de Judéen, devenir Galiléen… ! D’ailleurs, voici qu’il ‘monte’ à Bethléem : Bethléem est quand même plus prestigieux que Nazareth !
Mais voici le paradoxe d’un tel temps : il donne son fruit. Comme une rupture avec l’inéluctable, avec l’irrévocable. Une rupture qui est une surprise heureuse. C’est le ‘kairos’ cher à l’apôtre Paul. « C’est aujourd’hui le moment favorable. »
Voilà toute une expérience de la temporalité dans laquelle nous orientons notre attention sur « le temps qui donne son fruit ». L’accomplissement, le « moment favorable » instaure une relation avec la suite passé présent-avenir en lui enlevant son caractère inexorable « c’est comme ça ! ». Il y a dénouement. Le temps qui est le nôtre est gros d’une grossesse. Il n’est pas un malheur stérile.
Un autre enseignement du récit de la Nativité est de nous dire qu’en pastorale comme dans un enfantement, nous commençons sans vouloir immédiatement tout achever dans l’acte même du commencement. Ceci est extrêmement important dans l’entreprise du « chantier paroissial ». Ainsi par exemple, il vaut mieux choisir, au terme d’une année de refondation, de commencer un ‘carnet de route’ plutôt que de fixer une ‘charte’.
Il s’agit de quitter ne attitude de maîtrise, opératoire et administrative, pour entrer dans une attitude plus profonde qui est celle de la « Mater et Magistra » : donner à une réalité de devenir elle-même. La vraie autorité n’est pas celle par laquelle on formate autrui dans un moule qu’on décrète bon pour lui, mais celle par laquelle on donne à autrui d’accéder à lui-même, en l’accompagnant, en ouvrant ce qui, sinon, reste fermé. A propos d’ouvrir, remarquez qu’un des seuls mots de Jésus que les évangiles rapportent en araméen plutôt qu’en grec, c’est : « Ephata ! », « Ouvre-toi ! ».
Ainsi donc, mettre en œuvre des changements : est-ce une stratégie ou une conversion ? Les deux ! Mais vous le sentez, peut-on trouver la bonne stratégie si on n’a pas opéré cette conversion dans l’expérience du temps ? Une bonne stratégie est celle qui ouvre des possibles, et non celle qui fixe tout (et qui fait des gens les exécutants de ce qui est fixé). – En prime, voici une remarque militaire : une bonne stratégie est celle qui permet d’obtenir le maximum d’effets avec le minimum de moyens.
2. Apprendre des autres
Apprendre des autres est une attitude foncière et constante de Jésus. D’épisode en épisode, les récits évangéliques nous montrent combien Jésus a une singulière capacité d’apprendre de quiconque et de toute situation qui survient, refusant sans cesse que la question de son identité soit close prématurément. Il se dessaisit de lui-même au profit de qui survient sur sa route, laissant place à la singularité la plus propre de celui-ci. Du coup règne autour de lui un espace de liberté, où chacun peut être lui-même et faire son chemin.
La capacité d’accueillir et d’apprendre d’autrui, de ceux qui ne sont pas nous, est au cœur du mystère chrétien, dans la suite de Jésus, et est une question vive dans le contexte contemporain de « diaspora ». C’est dans cette « manière » de Jésus, en le suivant sur cette voie, que nous trouverons notre identité ecclésiale autant que personnelle. Et, remarquez-le, l’hospitalité de Jésus est désintéressée. A sa suite, il ne s’agit pas pour nous de nous mettre à l’écoute des autres, pour trouver le moment où nous allons leur servir notre plat ! Quelles sont nos manières réelles, par exemple en catéchèse ? … Avec notre désir de vouloir affilier et fidéliser ? Le croyant doit devenir crédible comme chercheur, et alors il deviendra peut-être crédible comme croyant affirme Guy Coq.
Au moment d’une refondation pastorale, l’écoute d’autrui (autre que nous) est essentielle. Pas pour recevoir d’autrui des informations inédites, mais pour la rencontre, pour fonder notre identité dans la rencontre. La véritable écoute est un geste d’interruption du flux de nos activités, un geste de discontinuité et d’ouverture, un geste de déprise par rapport à nos projets, à nos propres œuvres qui nous mangent. L’écoute manifeste que nous ne sommes pas nos propres auteurs.
3. Pratiquer un art de la parole à hauteur d’Évangile
À hauteur d’Évangile ! Cela ne veut pas dire : le discours sérieux/costaud de la religion, avec les mots typiques de la doctrine. Cela veut dire : la hauteur de notre humanité que l’Évangile touche ; là où nos vies tiennent ou ne tiennent pas, là où sont nos raisons de vivre et d’espérer.
Souligner, de ce fait, l’importance de la Parole de l’Évangile, ce n’est pas virer dans un « protestantisme » qui serait une trahison plus ou moins moderniste du catholicisme (On entend parfois cela…) ! Prenez la célébration, riche en symboles, d’une ordination épiscopale. Pour celui qui sera ordonné, il est question d’abord de la Parole, de sa mission d’annoncer l’Évangile. Et c’est le livre des évangiles qui est tenu au-dessus de la tête de l’ordonné… avant la mitre ! Et même avant l’onction.
L’annonce de la Parole et la ‘circulation’ de la Parole sont le premier souci des communautés chrétiennes. Prenons en considération combien la parole permet de nommer les réalités humaines. Donner à des jeunes, à des adultes, la possibilité de nommer les réalités qu’ils vivent, est un travail d’évangile. Immense ! C’est une œuvre d’éducation. C’est un travail d’humanité. Madeleine Delbrêl disait avec vigueur : Croire, c’est savoir ; et croire, c’est parler. Et elle insistait : La présence ne suffit pas.
Dans la quête d’humanité commune qui caractérise nos temps, il me semble que nos Unités pastorales doivent être fondées comme des « écoles de la parole », c’est-à-dire des lieux où l’on pratique « l’art de la conversation » (la formule est de Jean-Yves Baziou, reprenant Paul VI dans Ecclesiam suam) à hauteur d’Évangile. C’est par la singularité partageable de l’expérience intérieure que nous pouvons combattre cette nouvelle banalité du mal qu’est l’automatisation en cours de l’espèce humaine, disait Julia Kristeva, psychanalyste et philosophe humaniste, à la rencontre d’Assise en 2011.
L’exercice ravivé de la parole échangée nous fera exercer notre humanité, notre humanité qui ‘soigne’ et ‘porte souci’ de l’humanité… (la « cura » !) Nous devons apprendre à exercer notre humanité commune sans réduire cela à une régulation de principes dominants, sans se contenter seulement de débats citoyens (par ailleurs nécessaires), sans réduire cette « cura » à un simple poste de secours pour les victimes toujours plus nombreuses de l’automatisation en cours.
Ce style de la parole échangée est d’autant plus indiqué aujourd’hui que nous vivons une époque de la rencontre de plus en plus directe des diverses cultures.
Jean-Claude Guillebaud signale que l’enjeu est de taille. Si nous ne prenons pas ce soin de la parole échangée, il nous faut craindre une raréfaction (déjà en cours !) des mots qui laisserait les humains piteusement à la remorque des choses et des mécanismes. Une raréfaction des mots qui permettent de fonder notre humanité, de se mouvoir dans nos intériorités, et même de nourrir la démocratie. On irait alors vers une pure tyrannie des choses, des fonctionnements, des comptabilités, des graphiques, des taux d’écoute, des chiffres bruts. Forme « douce » de la barbarie !
Expérimenter dans la parole échangée, que croise la Parole révélée, le « salut » de ce qui rend « humains » les êtres humains et leurs relations, s’y encourager mutuellement, voilà des accents nouveaux en même temps que ‘traditionnels’ dans l’Eglise : la pastorale a toujours privilégié l’éducation, des congrégations ont été fondées dans cette intention, des écoles au XIX° siècle, des mouvements au XX°…
4. Ouvrir les chemins de la fraternité
C’est la troisième de la triade : « Liberté, Egalité, Fraternité » ! On a beaucoup fait depuis deux siècles pour la liberté et pour l’égalité. Et rien n’est jamais acquis définitivement ! Par contre, la fraternité, la petite dernière, venue plus tard dans la devise, est la « laissée-pour-compte » de la triade. Ignorée de tous les concepts politiques, elle relève habituellement des sentiments, ambiances et sensations.
Le Père Riccardo Lombardi, fondateur du Mouvement pour un Monde Meilleur, avec des accents de prophète « à la Cardijn », cherchait dès 1945 à promouvoir entre le libéralisme – qui favorisait la liberté au détriment de l’égalité – et le communisme – qui favorisait l’égalité au détriment de la liberté – une troisième voie : une fraternité, qui ne peut être réelle que si elle est universelle.
La fraternité en Christ des chrétiens a d’abord ce caractère-là : en cercles de plus en plus larges, audelà de toute cloison et de toute frontière. Par rapport à ce caractère-là, la communauté chrétienne est seconde. Elle n’est pas le but ultime de la pastorale. Si elle devient le but ultime, vous édifiez une secte, un club, une « bulle ». La tentation en a été bien forte dans l’après-concile ; c’était peut-être nécessaire, pour passer d’une Eglise cultuelle à une Eglise-communion. Mais la communauté est seconde. « Seconde » dans les deux sens du mot : d’une part, ce qui est premier est la fraternité comme dynamique toujours plus large ; d’autre part, une communauté chrétienne « seconde », « aide » cette dynamique large.
Nous ne pouvons pas assumer – comme minorité aujourd’hui – la tâche de transformer toute la société en vraie fraternité. Que faire ? Reprenons l’idée du dominicain Timothy Radcliffe : être présent sur les lieux de fracture de notre terre mondialisée. De son côté, Pierre Claverie, évêque dominicain d’Oran assassiné en 1996, écrivait, peu de temps avant sa mort : L’Eglise accomplit sa vocation quand elle est présente aux ruptures qui crucifient l’humanité dans sa chair et son unité. Jésus est mort écartelé entre ciel et terre, bras étendus pour rassembler les enfants de Dieu dispersés par le péché qui les sépare, les isole et les dresse les uns contre les autres et contre Dieu lui-même. En Algérie, nous sommes sur une de ces lignes sismiques qui traversent le monde : Islam-Occident, Nord-Sud, riches-pauvres. Nous y sommes bien à notre place car c’est en ce lieu-là que peut s’entrevoir la lumière de la Résurrection.
Ces lignes de fracture ne sont pas seulement à l’échelle internationale. Elles traversent nos villes, nos rues, nos paliers d’immeubles…
Il y a un certain nombre de questions d’avenir par rapport auxquelles notre Eglise, dans son mode de vie, pourrait être inspirante. Nous assistons à une mise en question, par les événements et les faits, de notions et de réalités tellement établies et sûres, qui ont fondé la vie en société : la frontière, la nationalité, la citoyenneté… Ne faudra-t-il pas penser l’identité de chacun autrement, à partir par exemple de la notion de migrant ou celle de réfugié ? Et rebâtir autrement la ‘maison commune’ ? Estce impossible, si l’on voit que l’appartenance à une réalité comme l’Eglise catholique n’est liée à aucune autre appartenance, ni de nationalité, ni de culture, ni de langue, ni de couleur de peau, ni de conviction politique… ?
Il y a aussi l’urgence du dialogue interreligieux. Pas facile ! Mais incontournable.
5. Etre signe
Ce dernier point n’a pas pu être développé. Il voulait montrer combien les symboles relient les cœurs, plus que le droit, l’idée, la conviction partagée ou même l’action commune. Elle voulait dire aussi qu’une communauté doit être fondée sans cesse sur sa liturgie, sans quoi elle se dénature en simple ONG et sa foi dérive en préceptes ou en morale.
Abbé Luc Lysy
L’Unité pastorale au cœur de la vie diocésaine (juin 2016)
Le 6 novembre dernier, lors de la conférence de presse organisée pour annoncer sa désignation comme archevêque, Monseigneur De Kesel a présenté son défi principal pour l’Église de Belgique : le chantier de remodelage des paroisses. Le problème de fond, c’est l’annonce de l’Évangile dans notre monde sécularisé, et dans un monde sécularisé ça ne va pas de soi. Le grand défi, c’est la question de Dieu, la foi en Dieu, la personne du Christ, le message chrétien. La structure que nous avons héritée du passé, avec tant de paroisses chez nous, ne convient plus à la situation réelle ; aujourd’hui, il faut travailler en Unité pastorale, il faut unir les forces et simplifier les structures pour avoir plus d’énergie pour notre mission principale.
Pour Monseigneur De Kesel, l’Église est en crise mais ce peut être une opportunité : car la crise n’est pas un concept négatif, l’Église est en train de vivre un changement radical, fondamental. Notre culture n’est plus chrétienne ; l’Église doit chercher sa place à l’intérieur de cette culture, elle doit accepter la situation, ne pas vouloir reconquérir ce qu’elle a perdu : elle a perdu une certaine situation, elle n’a pas perdu la foi, nous dit avec conviction notre nouvel archevêque !
Fonder aujourd’hui des Unités pastorales dans notre diocèse participe donc à ce mouvement général. En suscitant et en mettant en place une nouvelle dynamique de communion de communautés, on permet une présence plus signifiante de l’Église dans nos villes et villages. Nous avons tous besoin les uns des autres. L’Unité pastorale est source de Vie parce qu’on prie ensemble, parce qu’on partage la Parole de Dieu, parce qu’on travaille ensemble, en équipes (tant l’Équipe pastorale que les Équipes de Proximité et les équipes de visiteurs de malades, de catéchistes, de Saint-Vincent de Paul ou autre service… en Unité pastorale).
Ensemble, ces équipes vivent leur mission au service de tous, des enfants et des aînés, des hommes et des femmes, des chrétiens et des non-chrétiens… Ensemble, avec leurs spécificités propres, avec tous leurs talents, les chrétiens sont capables de mieux répondre aux nouveaux défis de notre monde.
Saint Paul, dans la première lettre aux Corinthiens, au chapitre 12, nous montre que nous sommes membres du Corps du Christ, chacun à notre place, en vue du bien de tous. De même, chaque Unité pastorale est véritablement une cellule de vie chrétienne, toujours en lien avec les autres. Et c’est la communion de toutes ces Unités Pastorales qui forme le diocèse, l’Église de Dieu chez nous. Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est à l’honneur, tous partagent sa joie (1Co 12, 26).
Ce chemin vers les Unités pastorales est sans aucun doute la métamorphose à laquelle tous les secteurs du diocèse sont appelés !